L’art de l’élicitation : comment capter les vrais besoins quand personne ne les dit

Michaël Frasse

8/28/20254 min read

L’élicitation est l’une des compétences les plus critiques – et paradoxalement les moins visibles – du métier de Business Analyste. Ce n’est pas simplement poser des questions. C’est extraire l’essence de ce que les parties prenantes veulent vraiment, souvent sans qu’elles le formulent clairement.

Et si on vous disait que les besoins les plus importants ne sont presque jamais exprimés spontanément ?

Dans cet article, on explore comment mener une élicitation efficace en identifiant trois dimensions bien distinctes : les besoins exprimés, non exprimés et cachés. C’est la clé pour passer de l’écoute passive à l’analyse stratégique.

1. Les besoins exprimés : ce que les parties prenantes vous disent… ou croient vous dire

C’est la couche la plus accessible de l’élicitation. Le stakeholder formule un besoin clair : "Je veux une application mobile", "On a besoin d’un dashboard", "Il faut automatiser cette tâche".

Mais attention : ce qu’une partie prenante exprime, ce n’est pas forcément ce dont elle a réellement besoin. C’est souvent une solution présupposée, pas un besoin fondamental.

Le rôle du Business Analyste n’est donc pas de noter à la volée, mais de creuser derrière la formulation. Cela passe par des techniques d’investigation structurées : interviews ciblées, ateliers de co-construction, matrices d’objectifs, reformulation systématique.

L’écoute active devient ici votre arme principale. Reformulez, validez, connectez les besoins exprimés aux objectifs métiers. Un besoin exprimé sans alignement stratégique est une fausse piste

2. Les besoins non exprimés : ce que les gens oublient (ou pensent inutile de mentionner)

Ce sont les besoins que personne ne pense à dire. Pourquoi ? Parce qu’ils sont trop évidents, trop implicites ou hors radar des interlocuteurs. Par exemple, un utilisateur ne mentionnera jamais qu’il a besoin d’un moteur de recherche tant qu’il n’aura pas vécu la frustration de ne pas le trouver.

Pour identifier ces besoins, il faut sortir de la posture "question-réponse" et entrer dans celle de l’observateur curieux. Cela passe par des approches plus immersives : observation sur le terrain, shadowing, analyse documentaire, walkthroughs, ou même l’analyse des incidents ou bugs passés.

Les besoins non exprimés apparaissent souvent dans les incohérences des discours, les doublons de processus ou les rituels inutiles du quotidien. Ils sont là, silencieux, mais ils conditionnent le succès de la solution.

Votre objectif : modéliser la réalité, pas simplement documenter ce qu’on vous dit. Un BA qui ne challenge pas le besoin exprimé ne fait qu'enregistrer des doléances.

3. Les besoins cachés : ce que les parties prenantes ne veulent pas (ou ne peuvent pas) dire

Ici, on entre dans la zone la plus délicate… mais souvent la plus cruciale. Le besoin caché n’est pas seulement non exprimé : il est délibérément ou inconsciemment dissimulé.

Cela peut venir d’un manque de confiance, d’enjeux politiques, de peurs, ou d’une mauvaise compréhension des implications. Un stakeholder peut cacher un besoin car il touche à un dysfonctionnement interne, un manque de compétence, ou à une stratégie non encore assumée.

Pour révéler ces besoins, il ne suffit pas d’être un bon technicien. Il faut être un analyste de l’humain, savoir instaurer la confiance, créer un espace de dialogue sincère, poser des questions qui dérangent sans braquer.

La technique du questionnement socratique, les jeux de rôles, les business scenarios ou les simulations en atelier sont autant de leviers puissants. Mais ce sont surtout votre posture, votre neutralité et votre écoute empathique qui feront la différence.

Un besoin caché bien révélé peut transformer la trajectoire d’un projet. C’est souvent là que se trouve la vraie valeur.

En trois phrases, une élicitation complète, c’est…
  • Capturer les besoins exprimés, en les challengeant avec rigueur.

  • Révéler les besoins non exprimés, en observant ce que les mots ne disent pas.

  • Faire émerger les besoins cachés, en créant l’espace de confiance et en posant les bonnes questions.

Ces trois dimensions sont mutuellement exclusives, car elles ne se recoupent pas dans leur origine ni dans leur méthode d’identification. Et elles sont collectivement exhaustives, car ensemble, elles couvrent l’intégralité du spectre des besoins à analyser.

Et concrètement, comment faire la meilleure élicitation possible ?

L’élicitation ne s’improvise pas. Elle se prépare, se structure et se pilote comme un projet. Voici quelques clés opérationnelles :

Avant toute rencontre, définissez clairement l’objectif de l’élicitation. Qui sont les parties prenantes à rencontrer ? Quels sont leurs rôles, leurs intérêts, leurs zones d’influence ? Ensuite, variez les techniques : un entretien formel ne suffit jamais. Croisez les méthodes et les sources. Ce que vous entendrez dans une interview ne sera pas ce que vous observerez sur le terrain.

Enfin, documentez toujours en vous posant cette question : "Est-ce un besoin exprimé, non exprimé ou caché ?" Cela vous aidera à affiner votre approche au fil du projet.

L’élicitation, ou l’art de voir l’invisible

Un Business Analyste ne se contente pas d’écouter. Il détecte, clarifie, reformule et révèle. L’élicitation n’est pas un acte passif : c’est une posture d’enquête, un exercice d’analyse comportementale, une capacité à naviguer entre la surface et la profondeur.

Les meilleurs BA ne sont pas ceux qui posent beaucoup de questions, mais ceux qui trouvent les bonnes. Ceux qui savent faire parler les silences, détecter les angles morts et traduire le flou en exigences claires.

Parce qu’au fond, l’élicitation n’est pas juste une étape. C’est le socle de toute solution pertinente et viable.

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